Odysseum : Le storytelling comme projet de ville

Publié le par Etrange Normalite

Quand espace marchand rime avec politique urbaine

45 000 m2 de surface de vente, 96 boutiques, 250 000 m3 de terre évacuée, 50 000 m3 de béton, 3 800 tonnes d’acier, pour un coût d’environ 160 millions d'euros, Odysseum veut « conjuguer ludique et commerce » tout en dynamisant « la reconquête des cœurs de ville ». Voulant dépasser le simple shopping mall à l'américaine ou la zone commerciale glauque des périphéries urbaines, Odysseum, «vitrine ludique d’une métropole regardant à nouveau vers la Méditerranée», s'est inséré dans une politique urbaine ayant précédemment dessiné les quartiers d'Antigone et Port Marianne.

 

En effet, Odysseum n'est pas une simple zone commerciale gérée par les promoteurs privés mais serait bel et bien un espace se voulant « public » inséré dans une logique d'urbanisation. Car on parle bien ici de politique urbaine définie par la ville de Montpellier et la communauté d'agglomération, le tout inclus dans le Schéma d’Organisation et de Cohérence Territorial. Jojo la Frêchouille parlait ainsi d'un « vaste espace public à vocation ludique et marchande, complément naturel au XXIème siècle du vieil Écusson ».

 

Située à 6 km de l'Écusson, Odysseum, l'extension « naturelle » du centre-ville donc, est la suite urbanistique et marchande du trio Polygone – Antigone – Port Marianne avec la volonté farouche de s'étendre et de se diriger vers la mer (car n'oublions pas que Jojo voulait un port pour Montpellier)...« Un monde de loisirs et sensations aux portes de la Méditerranée » scandent joyeusement les promoteurs et Icade, le constructeur d'Odysseum de fanfaronner que« Montpellier est à la pointe de la civilisation des loisirs ».

 

L'espace public comme cheval de Troie du consumerisme

 

Les finalités urbanistiques seraient donc différentes de celles des centres commerciaux périphériques. Ce nouveau lieu public, considéré comme un quartier à part entière, a aussi pour objectif de rééquilibrer le développement de la future métropole montpelliéraine en direction de la mer et n'est pas fréquenté par des consommateurs lambda mais des « visiteurs  en quête de découverte, de fête et de convivialité urbaine ».

 

Le visiteur-citadin est donc amené à découvrir Odysseum, à « voyager » comme le met en avant la toponymie du site qui fait référence à l'Antiquité (mais oui la Méditerranée, les Grecs, Antigone, balèze les promoteurs!) avec la Place d'Ithaque, la Place de Circé, la Place de Calypso, le mail de Poséidon...mais aussi à l'odyssée spatiale avec la Voie Lactée ou la Promenade des constellations. Sans compter la place controversée des statues de Frêche, où Jean Jaurès est collée au hangar qui fait office de salle d'escalade, et Lénine, qui semble ici plus haranguer un parking à moitié désert que les foules...

 

Étrange dispositif donc que cet Odysseum où Géant Casino et Ikéa tutoient la Grèce Antique et l'histoire du XXèmesiècle, le tout sous les regard des caméras de vidéosurveillance high-tech. Cette mise en scène et cette création d'un pseudo-environnemenent du plus mauvais goût ont pourtant une logique simple: sous couvert de faire l'amalgame entre consommateur et citadins à part entière, de faire selon Jean Pierre Garnier, sociologue, « perdre à l’acte d’achat son caractère prosaïque en nimbant l’environnement où il s’effectue d’une aura « magique », on ne fait que créer une fusion entre le ludique et l'acte de consommation pour mieux appâter le client, le fidéliser et faire qu'il puisse passer une journée entière à papillonner entre patinoire, film sur grand écrans, bouffe industrielle et shopping.

 

Metropolisation et storytelling

 

Une des composantes-clefs du projet de ville conceptualisée par Montpellier et revendiquée par les pouvoirs locaux vise à promouvoir la ville comme « métropole ». Cette métropolisation qui a court à Montpellier suit une logique implacable qui va de l'attraction des cadres supérieurs et chercheurs universitaires (via la création de pôles industriels high-tech et universitaires) à la création d'une ville nouvelle rayonnant sur des centaines de kilomètres.

 

Cette métropolisation suivi de cette logique recourt ainsi à des schémas (accompagnés de délires mégalos) que l'on retrouve ailleurs en France comme Nantes qui veut devenir la métropole Grand Ouest reliant St Nazaire à Rennes et son projet de Sillon Alpin (allant de Genève à Valence) qui veut devenir le bassin européen des technologies de pointes et accueillir les Jeux Olympiques. Le tout bien évidement accompagné de son cortège d'artificialisation des terres agricoles et des espaces naturels, d'autoroutes, de lignes TGV, de zones d'aménagements concertées etc...

 

Mais ces projets de villes sont également accompagnés de tout un matériel idéologique conceptualisé sous le terme de « storytelling » au début des années 90 aux États-Unis. Le storytelling, c'est le récit comme technique de contrôle social, une méthode utilisée non seulement dans le marketing et le management, mais aussi dans la mise en condition de l’opinion publique .

 

Le storytelling est ainsi un moyen de mise en condition psychologique consistant à immerger l’individu dans un univers scénarisé afin de le priver de tout raisonnement rationnel et ajuster ainsi ses comportements aux objectifs poursuivis : vendre, mobiliser, inculquer...

 

Odysseum propose donc cet univers naviguant entre Antiquité et rapport quasi obsessionnel à la mer Méditerranée pour mieux nous détrousser : le nom même est « en référence à l’Odyssée d’Ulysse, parce que c’est à une véritable aventure que nous convions les visiteurs, et aussi pour réaffirmer l’attachement de Montpellier à sa situation de ville de la Méditerranée ». De fait, « l’Odysseum, c’est aussi une référence à l’Odyssée de l’espace, à la grande aventure du futur, à la technologie ».

 

Entre les façades pastels néo-classiques et les palmiers du pôle ludique et l'ovni de béton et d'acier du pôle commercial tout est mis en œuvre pour que le « passé mythique puisse dialoguer  avec un futur fictif ». Le socle du complexe commercial est constitué d’« arches puissantes évoquant des architectures souterraines de grottes et de galeries » et Odysseum apparaît comme « posé comme un morceau de mer », et « les façades en tôle perforée rétro-éclairées viennent renforcer l’impression de bâtiment flottant sur sa base ».

 

Une absurdité sémantique et architecturale propre au storytelling et qui ne sont pas sans évoquer, les « entertainment centers de Londres, Toronto, Singapour ou Miami ». Car malgré le caractère soi-disant innovateur du projet, les aménageurs et les ingénieurs responsables de la maîtrise d’ouvrage du projet, avaient effectué au préalable plusieurs voyages aux Etats Unis pour étudier les compleson délire d'aéroport international ou encore Grenoble et

 

xes ludo-commerciaux. L’un d’entre eux, le CocoWalk à Miami, aurait même inspiré Odysseum...sous le soleil du capitalisme, rien de nouveau !

 

Interrogé par Télérama en 1999 sur Odysseum , Jojo la Frêchouille jubilait :« Montpellier, d’un seul coup, va sauter vingt-six siècles. On passe de la Grèce antique à Los Angeles » sans compter que le nom même d'Odysseum renvoie « au monde grec, aux exploits d’Ulysse, avec une terminaison romaine, mais aussi à 2001 : l’Odyssée de l’espace, à Bruce Willis à Schwarzenegger, et donc à la jeunesse du monde ». Avec les saillies verbales de Georges, pas besoin de storytelling: cela fait déjà des années qu'il nous a emmené dans un autre univers où politique publique rime avec fric...

Mika

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Commenter cet article
F
<br /> Storytelling ou concepteurs qui s'auto-complaisent et se gargarisent d'importance avec des concepts alambiqués qui flattent leur ego et pour attirer les projecteurs des médias ? J'ai souvenir du<br /> centre commercial Carré-Sénart (77), qui ouvrait une nouvelle ère de vie. Au final... un centre commercial, dont tout le monde est très content localement, mais cela reste juste un centre<br /> commercial.<br /> <br /> <br />
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